Un viol, deux viols, trois viols, ça use les roubignoles...
J’ai un ami d’enfance. Il habitait au premier étage de notre immeuble, et moi au troisième. Lorsque nous nous sommes rencontrés, nous avions deux ans. Autant dire qu’aucun de nous ne s’en souvient. Mais un gros tas de photos peut le prouver. C’est un peu comme un frère, dont le frère est aussi un peu comme un frère pour mon frère.
Nous faisions tout ensemble, tous les quatre. J’étais un peu exclue des jeux de garçons, mais ils faisaient tout de même l’effort de m’impliquer d’une façon ou d’une autre. Je pouvais faire gardien de but, par exemple. J’avais beau avoir envie de courir après la ba-balle moi aussi, c’était hors de question. Une fille ne joue pas au foot. Déjà au but, c’était une honte. Les copains rechignaient. Les parties étaient moins palpitantes. J’ai fini par laisser tomber. Je suis devenue la grande oreille.
A l’entrée en sixième, nous avions une nouvelle matière : la musique. J’ai souhaité m’inscrire à la chorale. La prof, sous sa tonne de maquillage vulgaire, a dit : « Mais ma grande c’est hors de question ! Tu ne sais pas chanter, tu as une voix casse-oreilles, tu ne chanteras jamais juste ! » Oui, en Yougos, il faut savoir chanter avant d’apprendre.
Je n’étais pas d’accord. J’ai été voir mon ami d’enfance. Qu’il me dise si c’est vrai que j’ai une sale voix et que je n’y arriverai jamais.
« Ok c’est bon arrête... Heu... Tu tortures bien quand même... »
Puis, sa maman a montré à ses copains une photo de nous deux. On avait trois ans au plus, et les parents s’amusaient à nous demander des bisous sur la bouche. Comme ça les faisait rigoler, on le faisait avec un plaisir évidant.
Depuis, nous nous sommes éloignés. Mais voilà... Frères une fois, frères toujours. J’ai parfois souhaité que lui aussi m’oublie. Qu’il cesse de m’appeler à chaque anniversaire, à chaque nouvel an. J’aurais pu dire alors que plus rien ne m’attache à ce fichu pays, que je n’ai plus personne à y voir, et l’oublier. Mais voilà... Il reste mon ami d’enfance. J’ai beau ne jamais l’appeler, ne jamais lui écrire, il ne se vexe pas. « Je garde le contact avec la Diaspora » qu’il fait, en rigolant. Il rigole tout le temps. Il fait rigoler tout le temps. Il a tout le temps une nouvelle blague en réserve. Et moi, j’ai oublié de parler. Je ne sais jamais rien lui dire. C’est un effort de lui parler. En plus, je n’ai pas la mémoire des blagues. Ça sort aussi vite que c’est rentré, par le rire.
Ce matin, 9h17 pétantes :
Lui : C’est toujours un calvaire pour te joindre toi hein... Joyeux anniversaire !
Et oui je sais et merci et papotipapota. Puis...
Moi : J’ai mis des chansons sur le net, faut que tu ailles écouter.
Lui : Ok, je verrai ce que je peux mettre comme zik dessus. C’est juste des textes, c’est ça ?
Moi : Heu... Non... Y’a tout...
Lui : Aha... Mais c’est enregistré en studio ? Ou c’est juste toi, avec un micro ?
Moi : Heu... Non c’est juste comme ça, des brouillons...
Lui (ah bon ben si ce n’est que ça...) : Ah oué. Bon. J’irais voir ça ce soir.
Et voilà. Le trac de toujours. Celui qui m’a torturé pour deux chansons en face de deux cents personnes tant et si bien, que plus jamais, jamais, jamais je ne retenterai l’expérience. Pourquoi j’ai été lui dire ça, moi ?! Pourquoi j’me viole comme ça ? Il va me coller la réalité en face encore. Il va m’dire ce qui est. C’est nul ma grande. C’est bien, t’as bien fait joujou, mais de là à mettre ça sur le net... Moué. Enfin bon. Y’a du boulot. C’est tout à refaire. Je peux te refaire les grattes et les rythmes. Et puis faudrait mettre quelqu’un d’autre à la voix aussi.
Il va le faire. Il va m’couper les roubignoles. Et je vais encore avoir besoin de 15 ans pour m’en remettre.
Qué trac... Qué angoisse...
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