samedi, février 19, 2005

Adulescence

Depuis le premier stage en septembre, je croise MaxiChou une minute par-ci, une minute par-là, en m’arrangeant pour qu’il en rigole. C’est probablement la raison pour laquelle il apprécie et va au devant de nos brèves rencontres, mais je le soupçonne d’en avoir une autre, au vu de la cargaison de nénettes qui se traînent à ses baskes en laissant des coulées de bave sur leur chemin. Ça doit pas être tous les jours simple pour lui. J’parie mon slip que c’est un timide. (Ben quoi… Il prend des couleurs rougeoyantes à chaque fois que j’lui fais une blague...) Or, moi, comme nénette, j’étais parfaitement immunisée contre ce genre de type. Mon absence d’attente à son égard lui a sûrement fait des vacances. Jusqu’à y’a une semaine ou deux.

J’ai craqué. Ben oui. Ben oui. J’ai craqué moi aussi. Faut voir son sourire, aussi, à ce gars-là… Et puis s’il le prolonge trop longtemps, s’il me suit des yeux trop loin, rien qu'une fois, faut pas espérer mieux. Une fille, ça s’enflamme plus vite qu’il n’en faut pour dire broutille. Hein.

Alors, allez. Gardons un souvenir du passage de MaxiChou dans ma vie. Une parmi bien trop d’autres de nos brèves rencontres de ces deux dernières semaines, à la croisée de trois couloirs :

MaxiChou (Me tournant le dos, un classeur dans les mains, faisant les 100 pas dans le couloir où j’ai cours et où il n’a rien à faire, parce que lui, il a cours à l’étage du dessous, j’ai vérifié. Oui je joue à ça, oui) : …
Moi (Zut, je passe, et il me tourne le dos, comment j’fais ?) : …
MaxiChou (S’approchant dangereusement du mur clôturant le couloir) : …
Moi (Ayant avancé d’un pas de trop pour être visible en ce moment où il ne fallait pas qu’il tarde à entamer les 100 pas du sens inverse, me penche, lui offrant une vue uniquement sur ma tête et les cheveux tombant en cascades… me disant : pourvue qu’il craque sur les cheveux longs et les beaux yeux, c’est ce que j’offre de mieux.) : Non MaxiChou, tu vas te faire mal par là, ça, c’est un mur, ça fini le couloir, y’en n’a plus après.
MaxiChou (Se retourne, large sourire un rien rougeoyant, et filant vite dans un troisième couloir ) : …

Deux minutes plus tard, il passe, oh quel hasard, par la fausse aux clopes que je scouatte histoire de me faire une brève remarque de non-fumeur frileux, puis, sans préavis :

MaxiChou (Me jetant son classeur entre les mains pour le reprendre avant de finir sa phrase et filer, souriant et rougeoyant) : Tiens, tu donneras ça au monsieur de la salle 120.
Moi (Pensant très fort, mais n'ayant aucune chance d'en placer une vu la rapidité de l'affaire : oh quel hasard, j'ai cours dans la 122, moi) : …

Voilà à quoi ça tient. Il a beau être la droite et haute belle bringue, j’ai beau être la petite boule bien ronde, les fantasmes, eux, ça leur passe bien au dessus.

Mais qu’attends-je donc d’eux ?

Côté cœur, le bilan est le même. V’là l’bord’aile :

Bogus aurait pu être bénéfique à mon cœur s’il n’avait pas été aussi lâche.
Vieux aurait pu me chavirer autrement qu’en me vexant à mort.
Rom aurait pu me câliner comme j’aime, si j’arrivais à rendre ma présence importante pour qui qu’est-ce.
L’Un Tout Seul, Léopardo, auraient pu m’oublier définitivement, ils ont préféré me rappeler que ce n’est pas moi, leur amour.
Norberto aurait pu allez savoir quoi que j’aurais certainement aimé, si j’étais une autre ailleurs.
Prof De Physique aurait pu me faire marrer, si je savais me faire remarquer.
Et comme pour oublier tout ce beau monde, j’ai entamé la fantasmagorie sur MaxiChou, le top n°1 de l’Iufme, MaxiChou pourra m’achever en me rappelant que nous ne sommes pas du même monde, et je me mettrai alors à chantonner « La beauté des laids ».

J’attends d’eux, qu’il s’en trouve un, pour m’aimer telle quelle et se rendre aimable. Voilà ce que j’attends. Pour des quetsches. Tout ce que j’y gagne, c’est des ambitions de workaholic.

Mais qu’attend-on donc de moi ?

Côté taf, le bilan est une cata. Je ne sais pas gérer un groupe classe, je ne sais pas me positionner en temps qu’enseignant, et je ne sais pas transmettre du contenu. Autrement dit, je ne suis pas faite pour ce métier. L’inspectrice a dit « Je vous mets en garde, le troisième stage sera décisif. Vous devez absolument réfléchir à tous ça. C’est pour toute la vie, ce métier, hein, ça sera pas juste comme ça, trois semaines par-ci, trois semaines par là. » Face à elle, je me sens comme face à ma gynéco qu’avait ressenti le besoin irrésistible d’en recreuser une couche par en dessous mon mal-être de maman qui ne le sera pas. Si ça peut leur faire du bien… hein…

En attendant, je n’ai encore rencontré personne cap’ de me faire une leçon de vocabulaire. Qu’appelle-t-on le positionnement de l’enseignant ? On nous en parle lors des évaluations et ça s’arrête là. Et où donc puis-je trouver des outils de gestion de groupe hormis dans la pédagogie institutionnelle qui n’est ni enseignée ni applicable en trois semaines, même réduite à ses essentiels ? Qui me dira enfin ce qui cloche dans mes contenus ? Parce que, quand même, on ne passe pas trois semaines d’insomnie en classe sans rien faire… Si je pose ses trois questions, on ne fait que me regarder avec des yeux ronds. Où étais-je censée l’apprendre, si ce n’est là ? Si mes fiches de préparations ne sont pas encore à leur goût, à qui puis-je m’adresser pour y jeter un œil connaisseur et me conseiller ? Mon Imfe ? Ma Piumfe ? L’inspectrice a dit « Vous ne devez pas tout attendre de vos formateurs. Ils n’ont pas un rôle modelant. » Et puis c’était l’heure de déjeuner, en plus. Alors ma vie, face à son estomac criant famine, ça ne valait que peu de patience. Et puis alors, comment je m’en sors si, par exemple, mon Imfe, de visite dans ma classe pour m’évaluer me dit « Très bien, la collation, j’ai rarement vu les enseignants passer aux tables pour faire parler les enfants sur ce qu’ils mangent et varier ainsi les aliments » et qu’ensuite, de visite dans ma classe pour m’évaluer, ma Piumfe me dit « La collation est un moment convivial, ne les ennuyez pas avec un questionnement. » ? Hein ? Qu’est-ce que j’fais ? Et quand ces trois-là concluent sur un « Nous sommes là pour vous aider. » tout en me faisant croire que je demande la Lune quand je m’y colle ? Si je dois insister trois mois au près de la Piumfe pour qu’elle m’accepte enfin dans son cours de remédiation en grammaire, juste parce que, n’ayant fait qu’une faute dans mon laïus sur la littérature au cycle 3, elle estime que je n’en est pas besoin, et ce malgré mes explications qui pourtant, à moi, me paraissent claires (je n’ai reçu aucun cours de grammaire française, ni plus ni moins, quand elle parle de relatives, de substituts, de pronoms, d’attributs et d’épithètes, ne parlons pas des anacecis et des anacelas, elle me parle chinois, or, je ne comprends pas le chinois, moi, et j’en suis bien désolée, parce que quand même, ça pourrait me servir, dans la vie que je me souhaite… c’est pas clair ça ?) ; si je suis obligée de passer par l’adjointe en direction pour accéder enfin à cette aide avec un cours de retard ; si quand je lui dis « J’aimerais leur faire écrire et fabriquer un album, est-ce possible en trois semaines ? » elle me dit « J’en sais rien moi, ça dépend de votre projet, j’peux pas vous dire. » et qu’elle n’entend pas que j’y ajoute « Et bien justement, pour le moment, mon projet ce limite à ces trois mots : fabriquer un album,comment puis-je faire en trois semaines ? » puisqu’elle répète alors « J’peux rien vous dire sans savoir quel est votre projet, y’a mille et une façon de faire. » ; si tout cela, est-ce moi qui suis si nulle et à côté de la plaque que personne ne peut rien pour moi, ou est-ce la formation qui a trop de limites ?

Alors ben je réfléchis en solo, vaille que vaille. Et voilà que les choses passées remontent à la surface du présent pour m’en fiche plein la poire. Ils sont passés à côté de mon manque, voilà pourquoi ils n’arrivent à me dire rien d’utile. C’est de structure, dont j’ai besoin. C’est le souk dans ma piaule, c’est le souk dans ma vie, c’est le souk dans ma tête, c’est le souk dans mon cœur, alors comment saurais-je mettre de l’ordre dans le grand souk qu’est l’Iufme à l’aube de sa disparition définitive, moi, toute seule ? Si j’en suis là, j’y suis pas pour grand-chose pourtant, c’est juste que j’ai eu seize ans, et que depuis lors, je suis parmi les franchouilles qui s’évertuent tous autant qu’ils sont pour me prouver que 2 et 2 font 5, contrairement à ce que m’en disaient les yougos, comme quoi 2 et 2 feraient plutôt 3. Quand est-ce que je me débarrasserai enfin de cette histoire de racines ?

Et puis je réfléchis encore, toujours les mêmes sources de déséquilibre stable : cette histoire de Pionnière de Tito qu’est jamais devenue Omladinka… C’est une vrai folie, le positionnement de l’enseignant là dedans. Je n’ai pas pu passer le rite qui fait devenir adulte, je dois cependant prendre une position d’adulte sans savoir ce qui le fait, et à la fois, je ne suis qu’en position d’apprenti enseignant, en somme, je suis une élève enseignante, voyez le bazar ? Le boulot de l’enseignant, c’est de créer des connexions neuronales chez les enfants, le boulot de l’apprenti enseignant est de se fabriquer ses propres connexions nouvelles, moi, dans tous ces circuits, je ne fais que me prendre des coups d’jus. Il me manque un repère stable, une prise de terre.

Combien de watts pourrais-je encore supporter ?

Saison 2. Allez savoir ce qu’elle sera… (un défouloir ?)

Les temps changent, le vent n’arrête pas de les retourner comme des crêpes. Vertigineux, affolant, complètement chamboulant, le nombre de personnes qu’on rencontre en une année d’Iufme. Entre les stagiaires, leurs amis, les Piufmes (profs), les Imfes (formateurs sur le terrain), les intervenants divers et variés, les Ematés (instits nous accueillants pour une matinée par-ci par-là), les collègues de tous ceux-là, les administrations, les enfants, les parents… Des foules par milliers… Combien d’histoires je pourrais raconter depuis ce carrefour incroyable ? Dire que lorsqu’on est en classe, on est si seul…

Quoique… Je suis seule dans la foule avec mes difficultés, aussi. Il y a de fortes chances pour que je joue les prolongations l’année prochaine. En espérant qu’ils ne me vireront pas ! Comme ils ont aboli cette année le système de remédiation, les gens comme moi, qui n’ont ni la science infuse, ni la rapidité de compréhension que la somme d’infos que nous avons à ingurgiter en peu de temps nécessite, ces gens-là dérangent, on ne sait qu’en faire, on les trimballe d’un bureau à l’autre, on leur propose des aides que d’autres interdisent aussi sec, ils font pitié aux gentils, énervent les nerveux, et moi, et moi, et moi… Moi, j’en bouffe, ça, pour bouffer, j’en bouffe, et alors pour digérer le tout… Treizième travail d’Hercule sous épée de Damoclès, l’affaire.

Perdue, terrifiée et fragile comme je me sens, je commence par le dire là ou je peux me le permettre, au lieu de faire mes deux devoirs de maths, deux autres de français, mon mémoire et la préparation du dernier et décisif stage de l’année. T’manières, pour bien faire, il me faudrait une paire de semaines de vacances pour chaque travail, alors…