mercredi, juin 23, 2004

Monsieur Pennac, cher Daniel,

J’hésite encore un peu. Ce n’est pourtant pas ma principale qualité. J’ai plus souvent tendance à foncer droit, ne suivant que le bout de mon nez. Je ne supporte aucune latence, j’aimerais, un jour, rencontrer ma patience. Pourtant, voilà onze ans que j’hésite. Monsieur Pennac ? Ah yo collègue ? Salut ô Toi parmi les Eux ? Bonjour Vous, si Vous ? Je n’arrive pas à décider. Voilà onze ans que vous n’avez reçu aucune de mes lettres. Onze ans que vous ne savez pas. Cette fois encore, je change donc de tactique.


Très cher Stojil,

C’est con que tu sois mort. Tu étais mon compromis. Si ta voix, Big Ben de leurs brouillards intimes, n’avaient résonné plus fort que mes tempêtes compatriotes, qui m’aurait réconciliée avec le bitume français ?
Y’a pas plus détestable qu’un pope, sauf peut être un pope tchetnik, tu sais bien, je te raconterai une autre fois comment je l’ai su aussi... Dixit ton pote d’échiquier, ta voix est celle d’un pope. Je ne sais plus s’il dixit que tu en as la barbe aussi, en tout cas, tu en as le fumet de panards, ça, ça reste inoubliable. Et malgré tout, je t’ai aimé dès ton premier mot... Je t’ai imaginé si précisément qu’il m’est impensable que tu sois hors d’atteinte maintenant.
Vraiment trop con. Je suis sûre que tu n’aurais pas refusé de m’apprendre à jouer aux échecs sous prétexte que je suis une fille. Dans le Petit Bois, à trois pas de chez moi, où vieillards et jouvenceaux unissaient leurs forces pour pousser du bois, tu ne les aurais pas laissés me chasser. Tu aurais pris ton immense voix la plus calme, celle qui pose son autorité tout naturellement sur les plus cyniques tyrans, et tu aurais dit : « Laissez-la... Laissez-la regarder... » tout en pensant que l’esprit d’une femme est si tordu qu’un jour, je pourrais t’apprendre des coups à tous les faire tomber de leurs bancs, le cul à terre et les quatre fers en l’air. Mais tu m’aurais laissée regarder. Et apprendre. Peut être même, tu m’aurais posée sur tes genoux, pour m’expliquer en secret tes « poteze ».
‘Naise ce que c’est con... Depuis que tu ne me connais pas, à chaque fois que mon âme hurle pour un café turc en guise de baume, à chaque fois que l’eau sucrée boue, que le café s’y disperse lentement, que je fais monter, descendre, monter descendre, trois fois, la mousse de plus en plus onctueuse, à chaque fois, je pense à toi. Si fort, que je crois dur comme un serment de pionnier que je te ressuscite. Alors, et alors seulement, tu me manques un peu moins.


Benjamin, Petit Con,

Si d’aventure Belleville sur Terre se remet à tourner sous ton pas de course au néant, pense à atterrir sur mon oreiller, n’en déplaise à ta léoparde.


Chère Thérèse,

Lisse ma paume, apaise-moi, brode-moi un avenir qui me rassurera, dis-moi qui j’étais, qui je suis, celle que je deviendrai, plante-toi raide comme un pilier à mon chevet, et raconte-moi la plus belle histoire, celle dont je suis le héros. Thérèse... S’il te plait...


Jérémy ?

Ta gueule. :o)


Douce, si douce Clara,
Prête-moi tes yeux pour montrer aux gens. Ma chandelle est morte, je n’ai plus de flash, ouvre-moi ta porte, beigne-moi dans le rouge.


Chère Yasmina,

Berce mon chagrin, fais pousser mes sourires, telle que tu ne me vois pas là, j’ai besoin d’une berceuse arabe. Au moins. Chère Yasmina... Tu veux bien ?


Monsieur Pennac,

Aimer, souffrir de son inexistence aux yeux d’un auteur, faire timidement des tentatives d’évasion de l’anonymat, est-ce aussi dans les droits imprescriptibles du lecteur ?


Cher Daniel,

Crois-tu qu’un jour je prendrai d’autorité le droit de te renvoyer en plein l’bide toute l’importance que tu as prise dans ma vie ?
Prévois des protections. Sait-on jamais.

Bien à vous tous...
Popette

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