L'affaire de la pipe
Dimanche, c’est la fête…
- On m’a piqué ma pipe, j’sais pas où elle est, dit l’Ancêtre.
- On ne te l’a pas piquée, on a dû la ranger quand tu as arrêté de la fumer, réplique Oh.
Lundi, c’est la fête…
- Où c’est qu’elle est ma pipe c’est ce con de lardon qui me l’a piquée encore, peste l’Ancêtre.
- Il fume pas ton gosse, et c’est pas un voleur, t’es bien placé pour le savoir tu l’as éduqué, râle Oh, qu’aime pas qu’on traite son fils unique de con quand le con en question est esclave de son père..
Mardi, c’est la fête aussiiiiii…
- J’veux fumer ma pipe j’peux même pas, on me l’a piquée. Quel con ce lardon.
- Une chose est sûre, c’est pas moi qui va te la tailler. On a résolu le problème de la pipe, l’Ancêtre, c’est entre ton fils et toi, j’peux rien faire, demande-lui où elle est quand tu l’auras au téléphone.
- Je t’emmerde ?
- Ton histoire de pipe m’emmerde. J’sais pas où elle est, j’peux rien faire. Appelle ton fils.
Et mercredi ? Et oui, ben oui ! Mercredi, c’est la fête aussiiiii…
- Docteur, je voudrais vous parler d’un problème que j’ai, un gros.
- Allez-y, je devine déjà…
- Voilà, j’voudrais fumer ma pipe et ce con de lardon me l’a piquée. Alors est-ce que j’ai le droit ? J’suis obligé de fumer des cigares, c’est quand même plus dangereux qu’une pauvre petite pipe !
- Ah, j’aurais cru que vous me parleriez d’alcool… Je ne peux pas vous interdire de fumer. Mais je peux vous dire que la pipe, ce n’est ni mieux ni pire que le cigare.
Ca m’a échappé. Je l’ai engueulé comme un rat mort dès la sortie du médecin. C’est que, voilà un mois, l’Ours s’est retrouvé avec la DDASS sur le dos parce qu’il aurait négligé son pauvre père. Une des 6 auxiliaires de vie qui se sont enchaînées après mon départ aurait tiré l’alarme. Juste pour une paire de mots qu’on a choisi de dire envers et contre le sens qu’ils induisent… Moi j’suis un gars comme ça, j’cause comme j’veux, ici, le mur il est peint en brillant, c’est pas pour rien, j’pisse contre, j’suis chez moi, et si ça plait pas, et ben j’emmerde.
Oh : Tu le sais, pourtant que t’as une chose à faire une seule pour me fiche hors de moi, c’est traiter ton fils de con !
L’Ancêtre : Oui m’enfin tu sais bien que je ne le pense pas comme ça !
Oh : Toi tu le sais, moi je le sais, parce qu’on apprécie l’esprit Saint Germain d’après guerre. Tu crois que toutes les personnes qui entrent et sortent d’ici en une journée comprennent ça comme ça ? Quand tu dis à un médecin "Ce con de lardon m’a piqué ma pipe", qu’est-ce que tu crois qu’il pense de ton fils ?
L’Ancêtre : Ah oui… Elle ça va, elle me connaît, mais d’autres…
Oh : D’autres se mettent en tête que ton fils te néglige et lui collent la DDASS au cul. Il se décarcasse comme une anguille pour toi, il fait le tour de la ville à pied pour te faire tes courses, quand il est pas victime des tarés de son bahut, il fait tout pour te faire plaisir et toi, tu fais quoi toi, pour lui faire plaisir ? Tes mots ont des conséquences sur la vie de ton fils. Ils lui font du mal. Il faut que t’arrêtes de lui parler comme ça. Il ne le mérite pas.
L’Ancêtre : Tu as raison, cocotte.
Oh : Toujours, coco.
L’Ancêtre : Je sais. Je sais bien que j’suis un vieux con.
Oh : T’es encore rattrapable va.
L’Ancêtre : T’es vache.
Oh : Pour votre plus grand bien, Sire. Maintenant, il me semble qu’on a un problème à résoudre mieux que les gosses de trois balais et demi. Je vais l’appeler l’Ours, et si jamais j’entends "Mon petit con de lardon adoré où c’est que t’a mis ma pipe que tu m’as piquée", devine voire ce que j’en fais de ta pipe une fois qu’on l’aura trouvée ?
L’Ancêtre : Qu’est-ce tu vas en faire ?
Oh : Je te la pique et j’te la fous à la poubelle dehors qu’elle ait été fumée quarante ans ou pas, tu sais que j’m’en moque, et que j’suis cap’ de l’faire, t’en doutes pas.
L’Ancêtre : T’es vraiment une sale vache.
Oh : Yo l’Ours ! On a un petit problème de pipe…
L’Ours : … *se marre*
Oh : Il va te la demander, si jamais il prononce un nom d’oiseau tu dis j’sais pas, j’chercherai en rentrant. D’ac ?
L’Ancêtre : Oh la salope…
L’Ours : … *se marre*…
Oh : Et toi, quand il arrête de fumer, laisse lui sa pipe en vue sur le buffet. Il sait se tenir tout seul.
L’Ours : Oui, t’as raison.
Oh : Toujours, coco.
L’Ours : … *se marre*…
Les gens sont doués pour se compliquer la vie… Mais il n’y a pas que ça pour m’inquiéter. Est-ce que ça pourrait être une incohérence, cette histoire de pipe ? Elle peut s’expliquer par une personnalité archimaniaque, mais quand même… Ce qui m’a fait peur, c’est son regard, quand il disait "on m’a piqué ma pipe", son allure, comme si on lui avait piqué tout ce qu’il a, tout ce qu’il sait, tout ce qu’il peut d’un coup, d’un seul. Il dégageait une force incohérente, à la fois faible et dévastatrice. Je ne sais pas pourquoi, ni comment, mais je sais qu’il est vital d’anéantir ce problème de pipe à tout jamais.
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