Comme on grandit... Un peu long oui. Mais qui a vu que ça se faisait du jour au lendemain ?
L’Ours Blanc Des Neiges est un homme admirable. Tout était contre nous. Mais notre amitié est toute naturelle. J’ai toujours craqué pour les pédagogues de films. La faute à cette vieille série que je n’ose pas revoir. "Allons plus loin". Un instit’ (partisan, bien sûr, y’a pas eu de film sans partisan avant Kusturica) durant la Seconde Guerre Mondiale, un jeune homme en fuite, qui ramasse tous les orphelins de guerre, de village en village. Chaque fois qu’ils pensent avoir trouvé un endroit où ils pourraient se poser, la guerre revient, et il dit "Allons plus loin." Et les enfants le suivent, chaque fois plus nombreux. Il dit. Comme on espère.
Chaque fois qu’un prof m’a fait, pour un comportement ou un autre, pensé à cet instit’, j’ai craqué. Et Nours… C’est tout ça. Personne ne peut imaginer la folie qui règne dans son collège. Personne ne peut imaginer la force qu’il faut pour le supporter, sans jamais plier, sans jamais abandonner, même impuissant, pour sauver ce et ceux qu’on peut.
L’autre jour, les mômes ont écrit une lettre à la provo adjointe. "Madame, vous z’êtes pas polie avec monsieur, nous on veut l’avoir l’année prochaine, c’est notre meilleur prof." Et l’Ours, tout ce qu’il y voit, c’est les emmerdes que ça lui cause avec l’adjointe. Il en avait déjà des tonnes. Ca devient lourd. Tellement lourd qu’il y a cinq mois ou six, il s’est fêlé une côte juste en retenant le stress. Le kiné lui a fait "Ah ben il était temps que je vous vois. Vous avez oublié de respirer. Trois mois de plus et on vous retrouvait mort au service de l’enseignement."
Depuis, il rigole chaque fois que je l’ai au téléphone. Il a jamais voulu m’croire. Ca aide à respirer. Il en faut une dose chaque jour. Ca et chanter. On s’en fout de savoir ou pas savoir. Y’a pas de mal à se faire du bien. J’dois pas être très convaincante. C’est chaque fois quand j’suis déjà trop loin qu’ils comprennent, les gars.
Je suis déjà bien trop loin, mais j’admire cet homme, et mon amitié lui est acquise. Alors chaque fois que je peux, je fais ce que je peux.
Hier, Tivi Jim, un jeune gars épatatant, était justement en train de m’offrir une séance incroyablement efficace de "se vendre professionnellement" à la fois pro, psy, et pédagogue. Mon stress à force de ne jamais savoir a rendu la séance bien vive, mais il y est arrivé, le vaillant ! A la fin, je me suis sentie aussi bien que l’on peut se sentir en apprenant quelque chose qui vous rende la vie meilleure.
Vive donc, la séance… Les mots sont devenus trop importants pour moi, j’ai fait tellement attention de ne jamais émettre de jugement de valeur sous quelque forme que ce soit, que je l’applique avec tout le monde maintenant, et lorsqu’on ne me renvoie que des jugements de valeurs sur un travail, positifs aussi mais surtout négatifs, je me sens vite vexée, et j’explique, j’oblige l’autre à une démarche constructive.
Exemple : C’est pas mis en valeur, ton CV, tu te gâches, c’est pas joli, regarde le mien, tu vois ?
J’ai finalement compris que ce qu’il voulait dire c’était : La mise en page n’est pas lisible, il faut une structure plus complexe, à plusieurs niveau, qui te permet de détailler.
Un môme, si on lui dit : C’est pas joli, c’est tout. Il n’a plus envie de faire ce genre de truc. Si on lui dit : il faut encore ajouter des trucs ou faire autrement en précisant des exemples de trucs et d’autrements, il refait forcément mieux.
Bref. Vive séance avant que nous ne nous comprenions.
J’ai néanmoins répondu à l’S.O.S. du Nours en plein dedans. Depuis que je le connais, on le fait chier chaque année avec des nouveaux logiciels en lui imposant de saisir notes et appréciations sans jamais fournir aucune formation sur les outils. Or, l’Ours, ça le gonfle, les ordinateurs. Il a jamais accroché. Il ne sait pas encore bien quand on met un espace avant une ponctuation et quand on s’abstient. Alors les logiciels tout moches bidon à saisir, ça lui prend du temps. Ce qu’à la main il fait en une heure, il le fait en huit heures là-dessus. Forcément, ça l’énerve. C’est pas vraiment un progrès pour lui. Faut comprendre aussi.
Paniqué, l’Ours. On allait encore lui péter une crise d’hystérie s’il n’arrivait pas à mettre les données sur clé USB. Une opération si simple, suffit de monter une fois, que c’en est une aberration d’en arriver à un tel stress pour quelque chose qui se résout aussi facilement. Le genre de stress qui rend sourd, voyez ? Au téléphone, sans le logiciel sous les yeux, c’est opération rassurons quoi que ça dure.
Final, il savait faire et il se sentait soulagé. Ca a pris vingt minutes. Sont fous, dans ce bahut… Suffit de prendre une demie journée à la prérentrée pour montrer ! ‘Naise ce qu’ils sont barges… (La dernière en date, miss autoritariste en bottes grand max 25 piges qui baise le proviseur en collectivité, qui les fait tous marcher au pas, de parents flics et fille unique, sarko il est bô, deux ans d’expérience dans l’enseignement, se présente comme assistante avec le proviseur appelé par les profs patron tout naturellement, je vous l’donne en mil où ça ? aux législatives ! Morte de rire j’étais. Faut faire un film, y’a pas à torpiller. Ca en ferait du spectacle ! Du beau carnage plein de conséquences bien lourdes sur plein d’innocents… )
Tivi Jim : Ca y est, j’ai compris. Tu es une vraie pédagogue. En toutes circonstances. Tu as une grande patience…
Oh : Heu… J’ai un bon stock de patience avec les autres, mais j’ai des impatiences insoutenables avec ce que je veux.
Et voilà, avant la séance, j’avais un CV de chiotte qui ne pouvait me servir à rien. J’avais un passé professionnel qui valait que dalle et qui ne me menait à rien.
Depuis, j’ai une expérience atypique certes, mais entièrement pédagogique. Depuis mon premier contact avec la société.
Je n’ai pas encore trouvé une place dans cette société. Celle qui me conviendrait le mieux. Pédagogue artiste amateur en tous genres. Je me demande si je suis cap’ de créer un métier pour y arriver. Ou peut être réinventer celui de passeur…
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