Alors on est d'accord. Les faits, rien que les faits, je l'jure.
J'ai donc appelé mon amie pour annuler l'après-midi de rigolade, histoire de ne pas lui imposer mon malêtre. Et pour une fois, j'ai imposé quand même, plus d'une heure au téléphone, à pleurer, à faire ma paumée.
J'ai dit : "Je sais pas, je sais rien, ma joie, j'y arrive pas. J'ai reçu une lettre de ma maman, c'est pile poil ce que j'espérais et rien. Ca ne fait rien de ce que je pensais que ça ferait."
Elle a dit : "Ben oui, c'est bien le signe que si tu ne te pardonnes pas et si tu ne pardonnes pas, tout, depuis que t'es née, ton corps ne te laissera en effet pas imposer ta joie. T'as écrit la lettre du pardon ? Oui. Et tu l'as lue à voix haute jusqu'à ce que ça ne te fasse plus rien ? Non. Bon ben voilà. Ta prescription du jour. Fais-le, tu verras."
Mais je sais même pas ce que ça veut dire, ce pardon là. En l'écrivant, je ne pleurais pas. J'ai relu avant de dormir. J'ai pas pleuré. J'ai même rigolé à un moment. Je sais pas. C'est tout ce que je sais.
J'ai dit : "Je veux pas que ça se passe avec ma grand-mère comme avec mon papa. J'en ai rêvé, et j'ai peur de ce que je rêve depuis l'annonce de la naissance de mon neveu. Je veux assurer ma sécurité financière, moi, je veux pas que ça se passe encore comme ça."
Elle a dit : "C'est pas toi qui crée ça. Accepte les aides qui t'arrivent, comme elles arrivent, même si tu aurais préféré autrement. S'il est question que tu sois tranquille de ce point de vue-là et comme ça, c'est pour ton bien, et le bien de ce que t'en feras."
Mais j'ai pas encore su faire fructifier l'argent de mon papa. Juste grimper mon standard. Et me faire un chez moi où je suis bien. Et y'a plus que quatre mois pour que ça rentre. Et j'ai toujours les barrières d'écriture. Ca avance, mais c'est pas comme regarder les plantes pousser. On se pose pas de question. Quand la terre est sèche, on met de l'eau. Quand elle fait la gueule dans une terre qui a bu, on ajoute de l'engrais. Quand les pucerons débarquent, on met de l'antipuceron. On s'inquiète pas. La fleur arrivera, c'est une certitude que rien ne déboussole. Parce que même si elle ne vient pas sur cette pousse là, elle viendra sur une autre. Et voilà. La vie qui se vit. Je voudrais que ce soit pareil pour moi. Mais ça l'est pas.
Elle a dit : "Te désoles pas, t'as bien fait de m'en parler, et puis en effet, avec tout ça, je comprends mieux que tu sois aussi pas bien. Peut être que tu déprimes, peut être même que tu déprimes depuis longtemps, en tout cas, tu n'es pas dans la vie, si même quand t'es aussi joyeuse que je te connais ce n'est que pour les autres, et en toi, rien. Moi ça m'étonnerait pas, t'en as traversé, et ce serait normal, c'est plutôt l'inverse qu'il serait convenu d'appeler un miracle, un gros coup de grâce."
Ca m'a achevée. J'ai été dormir.