mercredi, mai 05, 2004

L'ermite

Il m’est arrivé de sortir de chez moi. Quand j’étais petit, j’étais bien obligé. Et même plus grand. Tant qu’il y a l’obligation scolaire, il y a obligation à la sociabilité. Ça m’a si bien pesé, que je n’en ai profité que pour me construire une vie d’ermite. Tout de même, j’aimais marcher dans les forêts. L’air frais était agréable. La lumière du soleil à travers les feuillages rassurante. Mon imaginaire appréciait. Beaucoup. Un mouvement fugace repéré du coin de l’oeil, et toute une bande de personnages se formait aussi tôt. Un indien tombé du ciel comme une bouteille de coca. Perdu. Incompréhensible. Mais partageur. Nous pouvions manger les fraises des bois ensemble. C’est lui qui m’a appris à faire des flèches et des sifflets en bois. Un géant bourrin, grotesque, sacrément flippant, jouant d’un violoncelle minuscule dans ses mains. J’aimais l’écouter. Les animaux aussi. Nous nous regroupions à distance respectueuse, dans le plus grand silence, comme nous seuls savons le faire. Le géant n’en a jamais rien su. Une fée, que j’appelais Mimiminus pour l’embêter. Elle m’a appris le nom des fleurs. Quand elle ne boudait pas. Et Georges l’ours, et Raymond le papillon, et Tchik-Tchak le pygmée, et Alphonse le vieux chêne, et Mpf l’enfant sauvage, et, et, et...
Je ne vais plus dans les forêts. Ça déboise à tout va, de toutes manières, il n’y en a probablement plus dans les environs. Ou alors, des aménagées au pique-nique et autre jeu à mioche en plastique.
En fait, je ne vais plus. Tout court. Si ce n’est les quelques pas qui séparent ma cuisine de mes toilettes, et mes toilettes de mon bureau, je pourrais aussi bien être un arbre. Ou plutôt, un buisson. Depuis qu’Internet est capable de remplacer les bibliothèques, les librairies, les supermarchés, les centres des impôts, la poste, l’emploi, je n’ai plus aucune raison de mettre le nez dehors.
Je ne me souviens plus de la dernière fois où j’étais hors de ces quelques murs. Peut être il y a sept ans, quand cette fille (comment s’appelait-t-elle déjà ?) m’a emmené au cinéma. Elle y tenait. Je ne me souviens plus du film, mais je sais qu’il était censé me faire comprendre qu’elle couchait avec un autre.
A quoi bon voir des gens ? Seul, je ne m’ennuie jamais, je ne me fais jamais mal, je ne me cogne même plus les orteils dans les coins des meubles, je ne me vexe jamais, je ne suis jamais euphorique, je ne fais aucune concession, je suis libre. Oui. Je suis libre dans ces murs. Je peux écrire, jouer de la musique, lire, et surtout, surtout, apprécier la tranquillité, le calme. Il est vrai que j’ai la sensation de tout réécrire, rejouer, repeindre, depuis quelques temps. Mais ça passera. Sûrement. Je songe à sortir m’occuper de mon jardin une de ces quatre saisons. Histoire de varier les plaisirs créatifs. J’ai repéré de jolies idées sur www.monjardin.com... Les oiseaux, les papillons, les arbres commencent à me manquer.

Ça faisait si longtemps que personne n’avait sonné à ma porte que j’ai d’abord senti la panique m’envahir. Et puis, je me suis raisonné. C’était probablement une erreur. Il n’était donc pas nécessaire que j’aille ouvrir. Seulement, on a sonné encore. Et encore. Et encore.
- S’il vous plait ! Je sais que vous êtes là. Personne ne vous voit jamais, mais on sait bien que vous êtes là. S’il vous plait. Je suis votre plus proche voisin. J’ai besoin d’aide. Ouvrez-moi.
Et bien, mon plus proche voisin n’avait qu’à aller sonner à la porte du prochain voisin le plus proche. Je ne me suis pas fait oublié de tous pour qu’on me sorte de ma tanière d’une voix vieillarde au moindre souci.
- Monsieur... S’il vous plait... C’est mon petit fils. Il est grimpé sur votre toit. Aidez-moi à le descendre. Il est en danger.
Je n’avais plus le choix. Il fallait bien que j’ouvre. Je me sentais déjà si lourd, si fatigué... Les gens ne se rendent pas compte...
- Ah ! Merci... J’ai bien cru que vous n’ouvrirez jamais. Il est là haut. On devrait pouvoir l’aider en ouvrant simplement le velux, ne croyez-vous pas ?
- Par ici.
Vite. Nous sommes grimpés au grenier. J’ai attrapé le petit diable au vol. Il a bien failli se rompre le cou ce petit crétin. Et pourquoi ? J’vous l’donne en mil. Il voulait jeter quelques pétards dans ma cheminée, voir si ça ferait sortir l’ogre de sa tanière...
J’espérais m’en débarrasser au plus vite, mais le vieux n’avait pas l’air de vouloir décamper.
- Merci, monsieur. Vraiment, merci infiniment.
- C’est rien.
- Oh si. Ce petit monstre est ce que j’ai de plus précieux au monde. Vous savez, j’ai déjà perdu ma fille, mon seul enfant, si je le perdais, lui aussi, je crois bien que j’en mourrais de chagrin dans l’instant.
- Oui, oui.
- Je vais aller chercher un peu d’eau de vie, je tiens à vous remercier convenablement.
- Ne vous donnez pas cette peine.
- Si. Si, si. J’y tiens absolument. Sans vous, je ne sais pas comment j’aurais fait.
- Les pompiers sont très bons pour dépercher toutes sortes de petites bêtes.
- Je reviendrai demain, si vous le voulez bien.
- Non. Non. Sans façon. Ça ira, je vous remercie.
- Mais c’est que vous allez me vexer mon bon monsieur ! Je suis certain que ce n’est pas là votre intention. Alors, à demain ?
C’est ainsi, qu’il y a un mois, Vieux est entré dans mon quotidien. Aujourd’hui, je pense que j’aurais du mal à me passer de lui et de son eau de vie. Je me surprends même à attendre l’heure de sa visite avec impatience. Parfois, il m’emmène dans la forêt. Mon imaginaire apprécie. Beaucoup. Et mes instruments de musique aussi.

[Ailleurs si j'y suis]