jeudi, mai 20, 2004

L'électricien

Depuis que je sais que j’existe, je souhaite connaître et cherche le vertige.
En appuyant ma double échelle sur le sommet d’un poteau électrique, je sentais déjà le plaisir m’envahir. Je prenais tout mon temps pour grimper là haut. L’ascension avait quelque chose d’éternellement fascinant. A chaque pas, je changeais de point de vue.
J’ai préféré travailler en ville. Je jetais un oeil indiscret à chaque étage de l’immeuble le plus proche. Souvent, il ne s’y passait rien de bien notable. Un gros en marcel devant sa téloche. Une duduche pleine de rouleaux à friser. Une vieille tricotante. Un petit, trop longtemps dans son déambulateur, lancé à toute berzingue. Une secrétaire en pleine action. L’air immobile, mais les doigts imperceptiblement furax. Les clichés viennent de ce que les gens sont vraiment. Le suspens restait intact cependant, car il m’arrivait parfois d’y voir quelque chose d’incongru. Un funambule sur la corde à linge de son jardin, pendant ses caleçons en se baissant. Une jeune fille nue, surprise, mais pas effarouchée par mon regard, s’habillant très lentement rien que pour lui. Un potier confectionnant un perce-nuage-récupluie plus haut que mon poteau, me faisant signe, tout souriant. Parfois, aussi, je voyais des choses dont je ne veux pas me souvenir.
J’aimais mon métier. Lorsque je travaillais la nuit, j’avais l’impression d’être le marchand de sable en personne. Je soufflais les rêves par les fenêtres.
Jusqu’au Jour... Mon tournevis a dégringolé. Un môme passait par là en poussant son ballon du pied. Je me suis vu en cage pour infanticide involontaire. Il avait le cul bordé de nouilles ce ptit gars là. A un quart de seconde près, ce n’était pas son ballon qui éclatait, mais sa ptite tête. Je crois bien que je n’aurais jamais plus aussi peur.
C’est à cet instant qu’en voulant descendre trop vite, mon pied a glissé, j’ai perdu tout appui, et j’ai trouvé. Enfin ! Je ressentais le vertige !
Ce n’était pas très agréable. Comme une panique tournoyante. Mais je suis heureux de l’avoir connu.
Maintenant, à terre, je ne sens plus grand-chose. J’entends à peine le brouhaha qui m’entoure. Je discerne vaguement une sirène. Je voudrais leur dire qu’il est inutile de se presser, mais mes lèvres ne veulent plus que sourire. Ils verront bien... Ils verront b...

[Ailleurs si j'y suis]

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