vendredi, juillet 16, 2004

Big Ben dans mon brouillard intime

"Stojilkovitch, Serbe pour les gènes, veilleur de nuit de son état, et d’un âge que son sourire ne cherche pas à rendre respectable. La voix la plus grave du monde : Big Ben dans la nuit londonienne. Et qui me raconte une charmante histoire :
- J’ai connu un tueur d’Allemands, pendant la guerre, à Zagreb, quinze ou seize ans, figure d’ange, on l’appelait Kolia, il avait trouvé une dizaine de trucs infaillibles. Par exemple, il se baladait au bras d’une camarade enceinte qui poussait un landau, il abattait un officier à la sortie de la messe, d’une balle dans la nuque, et planquait le revolver tout fumant à côté du bébé endormi. Des choses de ce genre. Il en a descendu quatre-vingt-trois. Il n’a jamais couru. Il ne s’est jamais fait prendre.
- Qu’est-ce qu’il est devenu ?
- Fou. Au départ, il n’était pas fait pour tuer. A l’arrivée, il ne pouvait plus s’en passer. Une forme d’hystérie meurtrière très fréquente chez les partisans, et qui a passionné l’internationale psychiatrique d’après-guerre."
Pennac. Premier des Malaussène. (Oui je suis monomaniaque, oui. Quand j’aime, j’aime à outrance. Oui. Je sais bien. Mais bon...)
Ça devait faire un an, maximum deux, que j’étais en France, la première fois que j’ai lu ça. J’aurais pu défenestrer, débalconer, déponter, dérocheter le bouquin dès cette 87ème page, en bonne cocotte bien embrigadée que j’étais, mais non. J’ai tranquillement ravalé mes croyances. Non. On ne nous racontait pas ça. Des partisans fous... Non. Pas ces héros. Non...
Oh je sais, ce n’est qu’une fiction, le vieux Stojil, ce n’est jamais que le personnage de l’ami de l’auteur, le trait est forcé, la parole extravagante. Et pourtant... Tellement plus logique... Tellement plus humaine...
J’ai tranquillement laissé filer mes illusions patriotes. Tout doucement, au fil des lectures, des conversations meublées, et des zappings télévisualisés, par d’aussi minuscules touches de lumière que celle-ci. Un imperceptible glissement de valeurs. Si imperceptible, que je ne me souviens plus bien comment j'ai fini par toutes les perdre.
La relecture a du bon.

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