(flash back : juin 2006) Je suis une canne.
Je mange quand il mange ce qu‘il a besoin de manger. Je bois quand il boit ce qu‘il a besoin de boire. Je dors quand il dort, le peu qu‘il a besoin de dormir. Depuis une semaine. Pile poil. Il a besoin d’une canne pour tout. Marcher. Chier. Pisser. Se laver. Exister. C’est moi. La canne. C’est lui. Le père de mon homme. Né en 1927. Résistant pataphysicien et artiste peintre.
Il fait des progrès à vue d’œil. Il retrouve peu à peu l’exceptionnelle autonomie qu’il avait avant sa chute il y a six mois, et les « incessants incidents intercurrents » qui s’en sont suivis. Je ne souhaite à personne d’avoir à faire aux hôpitaux français, en cette saison politique. Pas même aux ennemis.
Aventure épuisante, quoi qu’elle puisse être passionnante, si, très vite, mon homme arrive à me ménager des heures de vie. Ma mienne.
J’ai peur. Il y a des événements que je ne veux pas vivre. Je doute d‘y échapper. Je doute en la capacité de mon homme à les prendre sur ses épaules plutôt que sur les miennes. Il y en a d’autres, inévitables. Mes trente ans. Ses cinquante. Si tu crois que cela. Me tourmente. J’ai peur.
Je pensais être douée d’abnégation. Je réalise que c’est trop difficile. Les gens qui parviennent à l’accepter, parfois pour toujours, à la supporter des années durant, ces gens… on ne peut pas même imaginer à quel point ils sont admirablement forts et aimants.
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