vendredi, décembre 08, 2006

La mousse


Qui a déjà lu saura que ce n’est qu’interprétable. Qui n’a pas, peut vérifier : La Mousse

Je crains le hors sujet pour ce devoir. Il s’agit d’interpréter le texte en travaillant la matière. L’Ancêtre Pataphysique manque, en l’occurrence son penchant prof des Beaux Arts. Il m’aurait poussée plus loin. J’aurais fait mieux. Deux mois que je bloque là dessus…

J’avais commencé sur une plaque de polystyrène. J’en avais trouvé une pile poil format raisin. Il a neigé dans tout l’appart le temps de gratter la première couche bulle par bulle. Lui, était à l’hosto. Deux mois qu’on préparait mon départ, de façon à ce qu’il soit en mesure de soulager son fils en retrouvant un maximum d’autonomie. Deux mois, en totale contradiction encore avec ce que je suis. Deux mois, à ravaler mon impulsivité, ma colère, ma liberté, ma méchanceté.

Et lui, genre, deux semaines avant mon départ, qu’est-ce qu’il nous fait ? Un week-end dégobillage en bonne et due forme. Du matin au soir. Du soir au matin. Du vendredi, au dimanche. J’en pouvais plus, moi, alors lui… Son médecin ne paniquait pas, samedi matin, elle a conseillé un anti-vomitif et, si ça ne passait pas, une visite des collègues SOS. Le petit jeune a palpé, a dit « C’est pas organique, une bonne gastro peut être, faut attendre lundi. » Tout fier, il a demandé ses cinquante euros et s’est barré. En me laissant l’Ancêtre, le seau et le désinfectant sur les bras. Il remplissait le seau. Je vidais. Je nettoyais. Il remplissait… 42 heures de rang.

Dimanche, j’étais à bout, complètement paniquée, prête à dire ce qu’il faut pour qu’on l’emmène même si c’est faux. Ca s’voyait, ‘naise, ça s’voyait, il n’avalait rien, et il continuait à dégobiller, comme si tout le volcan de sa vie libérait son corps. J’ai secoué un rien le corps médical. Il a été opéré dans la nuit. Hernie inguinale étranglée. On aurait attendu lundi, on aurait fini d’attendre à jamais. Ca doit être opéré dans les 48 heures.

Il aurait été là, à me regarder gratter mes bulles, il se serait marré comme un phoque. « T’es vraiment qu’une enculeuse de mouches » il aurait dit. « Fais gaffe à tes ailes, alors. » j’y aurais répondu.

Au lendemain de l’opération, il s’est réveillé, il a demandé du champagne et du homard à l’américaine sans tomate. Ca en a fait la coqueluche du service. Le médecin, après consultation du dossier des six mois d’hosto préalable, a demandé quel était le neuropsychiatre qui avait fait la stimulation. L’Ours a répondu « Oh, vous connaissez sûrement, c’est le docteur Popette ». J’étais fière, mais ça m’faisait une belle jambe.

Dix jours d’hosto, et je l’ai retrouvé presque comme au premier jour, tout était à refaire, j’avais une semaine devant moi et plus aucune, mais alors aucune patience. Je lui ai dit tant de mots durs… Des mots qu’il fallait dire, mais avec un autre ton… « Le ton est ce qu’on emploi pour dire ce que l’on ne dit pas » (dixit un personnage quelconque d’Ally McBeal…. ben quoi ?) Et le mien disait toute mon exaspération. Toute ma rage. Tout mon besoin d’évasion.

J’avais mis un fond pierre, et une nana verte dessus. Une première couche d’acrylique. J’osais pas, les huiles. J’sais pas pourquoi. J’osais pas. Il est rentré. Il a vu. Il a fait « C’est quoi ? » J’ai expliqué. Il a dit « Le gris est terne et le vert insignifiant. Tu peux recommencer. »

Je n’avais pas eu le temps. Trop occupée à la fois par ce qu’il y avait à faire et les maigres échappatoires que j’avais. J’m’enfermais dans la cuisine. Cachée par terre, dans un petit coin. Des fois qu’ils oublieraient mon existence…

Je devais partir tranquillement le samedi. La plus part des affaires étaient déjà chez les parents. Il en restait un peu. Jeudi matin, bien qu’il savait que je n’arrivais à dormir que trois heures par nuit, il m’a réveillée pour une minuscule crotte dans sa couche une heure avant mon réveil. J’ai essayé de lui expliquer que c’est injuste. Que je ne suis pas infirmière. Qu’on n’est pas à l’hosto. Qu'il aurait pu attendre une heure. Il a maintenu « Tu veux que j’fasse quoi ? J’avais pas l’choix. J'étais dans la merde. » C’était trop. Moi aussi, j'étais dans la merde, et j'étais seule à me torcher. J’ai plié bagages en catastrophe. J’ai dit « J’peux plus m’occuper de toi comme il faut, alors je m’en vais. Promets-moi… Tu feras attention à ton fiston ? » Il a promis. « Ne t’en fais pas, et merci. » Le soir, j’étais dans le train. Et depuis, l'Ours est seul, avec tout ça, et bien plus encore. Et depuis, j'essaye de ne pas y penser.

Impossible de transbahuter la plaque polystyrène d’un centimètre d’épaisseur et un demi-mètre carré de surface. Je l’ai fracassé.

Ca fait deux mois. J’ai osé les huiles. J’en ai enfin terminé avec « La Mousse ». La prof de l’école à distance a dit « L’important, c’est qu’on sente l’étouffement. »

Voilà. C'est sorti. J’ai fini d’étouffer. Que ça se voit ou pas, j’ai fini.

Et j’ai pardonné.

(L’huile est ratée mais, n’empêche, j’aimerais bien avoir les mamelons de cette nana là, moi…)

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