samedi, décembre 09, 2006

« Ne réveillez pas l’homme qui rêve, il peut devenir fou. »

Qui fait attention au sommeil des autres, levez la main ?

C’est précieux, le sommeil… Moune travaillait la nuit à une époque, quand on était petits. Elle se couchait le matin et se réveillait en début d’après-midi pour venir nous chercher à l’école. Parfois, nous assistions à ce mystère, à cette nuit diurne… Une ambiance étrange, dans mon souvenir, une brume matinale par-dessus… Le calme. Le silence. Le souffle de maman. Ses joues. Ses yeux clos. Il y a un sentiment particulier à regarder dormir ceux qu’on aime. Ca surprend, l’immobilité. Ca vit, on voit bien que ça vit, mais… C’est comme si ça vivait ailleurs. Un ailleurs fragile, capable de s’évaporer au moindre geste maladroit.

Moune est infirmière. Lorsqu’elle dort, elle renaît. Elle ne nous a jamais vraiment parlé de son métier. Que des bons moments. Ou alors, s’ils étaient tristes, c’est qu’ils étaient malgré tout drôles et beaux. Elle vous raconte ça avec ses grands yeux, ses grandes expressions, toutes ses voix et tous ses tons, comme si vous y étiez. Il ne faut jamais lui demander de raconter. Elle n’a jamais voulu croire qu’elle savait le faire. Nous, nous avons a toujours su. Nous avons appris à attendre la surprise. Malgré l’apparente légèreté de ses anecdotes, nous ressentions tous les pires qu’elle a du traverser. Juste une fois, elle m’a dit « Tu peux faire tout ce que tu veux de ta vie, tout, juste, ne choisis pas infirmière. C’est trop dur. » Et le ton disait « Je ne veux pas que l’un de vous ait à traverser ça. Votre souffrance serait mon chagrin létal. »

Je lui en ai causé quelques uns, à mon adolescence, de ces chagrins. Ils sont aussi miens. Le cercle vicieux des culpabilités montées sur le principe des vases communiquant.

Mais j’ai, chaque jour, chaque nuit, fait très attention à son sommeil. Lorsqu’elle dort, elle renaît. Et aussi à tous les sommeils de tous ceux qui ont dormi. Très, très attention…

Je ressens le réveil comme une agression. Il se doit d’être tout en douceur. Lorsque quelqu’un n’y fait pas attention, même s’il ne fait pas beaucoup de bruit, c’est l’adrénaline qui me réveille. Le cœur qui bat fort. Je peux devenir dragon. J’ai l’impression que, selon ce qui se présente, je pourrais aussi bien tuer. Shoot first. Ask questions later.

Je n’aime pas être réveillée. Je n’aime pas réveiller. Je n’aime pas la violence.

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