mardi, avril 10, 2007

Tout est relatif.

J’en étais persuadée, m’en suis même faite une fierté, l’Ancêtre, c’est principalement ma pomme secondée d’un bon médecin, un bon kiné et quelques bonnes infirmières, d’accord, mais moi d’abord, qui l’a remis sur pattes en un temps record de cinq mois. Ca allait de soi, ça coulait de source, c’était une évidence, du genre à ne pas passer inaperçue…

Ce soir, j’ai beaucoup papoté avec l’auxiliaire de vie qui s’en occupe trois heures par jour depuis deux mois.

Oh : Et tu te souviens, quand t’es arrivé, en sortant de l’hosto ? Tu ne te levais pas de cette chaise seul, hein…

En effet, à l’époque, il ne pouvait pas s’aider de son bras droit cassé et mal remis, il avait six mois d’immobilisation dans les guiboles et de rien-foutre dans la caboche.

Cricri La Criquette : Ben il était comme ça quand je l’ai pris. Il va mieux maintenant. On a bien bossé tous les deux. La DDASS et l’Association m’ont félicitée, mais c’est tous les deux ensemble qu’on y est arrivé en un mois record !

Est-ce que je suis comme elle si ça m’fait chier d’avoir entendu ça ? Est-ce que je suis comme elle quand j’écris ici ? Je ne pense pas ressembler à Cricri La Criquette. Je ne suis pas tellement d’accord avec tout ce qu’elle dit. Genre qu’il ait un début d’Alzheimer, l’Ancêtre, ça m’étonnerait bien. J’suis pas médecin et même un médecin n’en saurait rien. Enfin je crois. Il faudrait que j’en parle à Moune. Mais il me semblait que la maladie d’Alzheimer causait des incohérences, plus que des trous, des troubles de mémoire. Je me suis ptête faite une idée à cause de mon grand-père. C’est quand il a commencé à être incohérent que… Ben que tout. Toute sa folie qui dans les années ’80 en Yougoslavie ne portait pas encore de nom propre.

J’ai fait attention aujourd’hui. Et quelques petits tests. Je lui ai demandé hier soir de se souvenir de sa diurèse. Il s’en est souvenu ce matin avec à peine une seconde de réflexion. Il savait aussi que le kiné était parti en vacances et qu’on n’était pas sûr de le voir encore avant jeudi. Le soir, il savait qu’il était venu, finalement, et qu’ils avaient fait bien six cents mètres de marche. Il a eu du mal à se rappeler le jour du retour de son lardon, mais il relève facilement les indices logiques ou marquants que je lui donne pour retrouver l’information lui-même. Il ne savait plus si l’infirmière était passée. Il a vérifié dix fois la date du jour. Il ne savait plus qu’on avait déjà réglé en l’éliminant le gros problème que la commande chez le supermarché livré à domicile lui posait.

Il se souvient très bien des choses un minimum marquantes, je crois. Il aime bien le kiné, le gars lui a sauvé le bras, c’est pas rien. Moi aussi je l’aime bien, j’ai dû écrire à son propos, ça m’étonnerait pas. Mais j’me souviens pas de ce que j’y ai dit. Moi non plus, je ne me souviens pas de tout. Comment ça fonctionne ? Quand est-ce que ça ne fonctionne plus ? L’infirmière elle, était complètement insignifiante à voir, comme ça, de premier abord. Aucun éclat de rire durant la toilette, le même sourire poli tout du long, aucune réaction aux taquineries d’l’Ancêtre, rien… Moi non plus, je ne m’en souviendrais plus très longtemps, de cette dame. Par contre Nathalie… Je ne l’oublierai jamais, ça de sûr. Même la Grande Catherine, j’m’en rappelais bien, j’étais contente de la revoir.

Il oublie les choses de tous les jours, mais, c’est étrange, sans jamais laisser passer une occasion d’assouvir ses maniaqueries, comme il dit. C’est vrai que, couper en deux un quartier d’orange, je comprends mieux que couper en deux les quartiers de mandarine. C’est étrange. Et c’est peut être une incohérence. Un indice. Il n’empêche, je ne sais pas pourquoi, une certitude qu’on s’explique pas, je le sais, l’Ancêtre n’est pas, et ne sera jamais malade de la maladie d’Alzheimer.

Bref. Assez divagué pour ce soir. Ca m’a fait quelque chose, la réelle fierté que Cricri La Criquette ressentait en toute sincérité et tendresse en s’annonçant Bruce Willis à son tour. Comme quoi tout est relatif. Et au sein d’une équipe nombreuse et jamais réunie au complet, il est impossible d’attribuer un mérite à quiconque sur quoi qu’est-ce qui soit accompli.

Ebé bravo à nous tous, l’Ancêtre pète la forme ! Je l’ai de mes yeux vu trifouiller dans un tiroir au raz du sol.

Oh : Tu sais que, j’suis sûre, tu pourrais te désaper tout seul maintenant. Te saper, c’est pas encore dit, mais te désaper, j’parie ce que tu veux, t’y arrives.
L’Ancêtre (se marre) : Oh ? Tu crois ? Tu vas faire bosser le vieux ? T’es une sale vache, toi.
Oh (se marre aussi, faut préciser, les gens sont prudes avec le vocabulaire parfois) : Ben quoi. T’es tout piteux quand j’te torche le cul, et quand j’t’annonce que tu peux l’faire tout seul tu râles. Faut savoir ce qu'on veut, dans la vie.
L’Ancêtre : T’es vraiment vache, toi.
Oh : Tu t’rends compte ? Tous ces gens dont tu profites chaque fois que tu les laisses faire ce que tu peux faire toi-même ?
L’Ancêtre : J’suis vieux. Qu’est-ce tu veux. J’sais bien qu’j’suis un vieux con.
Oh : T’aimes ça, oui.
L’Ancêtre : Quoi ?
Oh : Faire le con.
L’Ancêtre : C’est vrai. J’adore même.
Oh : Mais t’es malin. J’t’ai vu faire. T’as été chercher tes cigares dans le dernier tiroir en bas à tes pieds. Si tu peux te baisser pour un cigare, tu peux te désaper.
L’Ancêtre : T’es vraiment une salope, toi. On t’la fait pas.
Oh : Ouaips ! Et une bonne ! Tu m’auras jamais. Jamais.

J’adore nos ptits dialogues salaces…

L’Ancêtre : Ben quoi ? Est-ce que j’t’ai d’jà fichu la main au cul ?
Oh : Ben non.
L’Ancêtre : Ben alors. J'suis respectueux.
Oh : Ben t’en sais rien, j’aurais ptête aimé, ça.
L’Ancêtre : Ah oui ? Une bonne, en effet !

J’ai l’impression de discuter avec Jarry, ou pire, Vian, voyez ? C’est épatant !

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