mercredi, juin 13, 2007

(sic)

- J’me suis engueulé avec l’auxiliaire de vie, aide-moi à comprendre pourquoi. Je vais te dire…
- Bonjour, pour commencer. C’est possible ?
- Oooh… Bonjour, Bubulle, comment va, t’as une drôle de voix ?
- Bonjour, Nours. Ca va. J’ai chopé la bronchite à soeurette. Rien d’grave. Et toi ? Raconte voir.
- J’t’ai raconté la dernière émeute au bahut ?
- Non.
- Vendredi. Y’a eu des blessés. Le Patron refusait d’appeler le SAMU pour pas faire de vagues. J’ai convoqué la presse. Ils ont tout aplati comme quoi rien de bien grave. C’est de pire en pire. Ils cherchaient déjà toutes les petites bêtes pour me décrédibiliser, mais là, ils ont plus qu’une envie c’est de trouver le moyen de me virer.
- C’est des fous Nours. La seule chose qui les emmerde c’est que t’ais raison et ce pour des histoires de politique. Pense aux mômes. Ils sont les seuls juges impartiaux de ton travail.
- Bref. Quand je rentre, je comprends mieux ce que tu disais, j’ai besoin d’être seul, m’asseoir avec un verre de Vichy et me laisser avoir envie de rien, même pas de manger. Juste un temps pour moi. Un tout petit temps. Et j’y arrive pas, y’a toujours un truc qui va pas à gérer. Et puis, bon, c’est pas bien grave, mais ça fait un moment que ça m’énerve, l’auxiliaire de vie laisse toujours les sacs poubelles dans le couloir au lieu de les descendre, ça pu la merde dans tout l’immeuble. Là, je rentre, elle me fait la gueule, et puis elle m’engueule, comme quoi j’suis trop sévère avec l’Ancêtre, que je le laisse seul la nuit quand je dois me déplacer à Paris, Dijon, etc, que c’est de l’abandon de personne âgée et qu’elle va en référer à l’assoc’ et que je serais bien dans la merde.
- Attends, attends, attends. Tu ne le laisses jamais seul la nuit, et elle n’est pas là pour le voir. Elle a pété un câble, c’est qu’elle te reproche autre chose. Qu’est-ce qui s’est passé avant ?
- Un matin, il a trouvé le moyen de baisser la barrière du lit, et de se lever seul. J’aime pas trop ça, elle, elle a tout de suite dressé des plans sur la comète, comme quoi il est plus autonome et qu’il faut laisser la barrière baissée maintenant et qu’il ne se serve plus de sa cane. Je lui ai juste dit que c’était au médecin de décider.
- Oh, ben s’il progresse c’est bien, mais faut y aller mollo.
- Ah bon ? Ben tu vois, j’vois plus qu’il progresse.
- C’est pas le genre à se mettre en danger, mais y’a des petits trucs qui déclanchent certaines illusions, tu sais bien qu’il oublie parfois qu’il a 79 ans et qu’il a tendance à tomber dans ces cas. Pour le lit, c’est très bien. Il se sentira mieux. Mais la cane, faut vraiment voir avec le kiné. J’ai l’impression qu’elle lui rappelle ses nouvelles limites.
- Oui ben, elle, elle insiste, je le maltraite parce que je ne veux pas qu’il lâche la cane tout de suite.
- Elle, elle est ni kiné ni médecin, mais elle fait du bon boulot et elle a du bon sens quand il s’agit d’aider. Cherche pas, elle te reproche juste de ne pas voir les miracles qu’elle accomplit et de ne pas pouvoir ramasser les lauriers qu’elle mérite. Elle sait pas comment te le dire. T’es un ours, Nours, tu en imposes, les gens qui n’osent pas te regarder dans les yeux ne voient pas que t’es un tendre. Elle, c’est une soumise. Elle ne voit que ton apparence sévère. Mais tu vas l’appeler, là, tu vas lui dire que t’es désolé, même si c’est balaise de s’écraser, et tu vas lui répéter tout ça, comme quoi t’as pas su voir ses exploits parce que t’as les yeux obstrués par la folie ambiante, mais qu’elle t’a fait réfléchir et que tu es reconnaissant pour tout ce qu’elle fait. Et puis elle va se calmer. Suffit que tu lui parles comme tu me parles. Elle est comme moi. (Le caractère en moins. Hé.) Et puis tu m’rappelles et on voit si ça a marché ou si faut chercher plus loin.

Une demi-heure plus tard…

- T’aurais dû faire psy, Bulle.
- Je fais psy, Nours. Un genre gratis.
- T’avais raison, c’est passé. Et moi, j’vois plus rien, que les emmerdes. Les mômes aussi m’envoient des signes, ils me disent qu’ils progressent et je vois rien.
- Les mômes t’aiment, Nours, parce que t’es un bon prof. Ils sont les seuls juges que tu devrais entendre, mais tu n’écoutes que ceux qui te traitent de minable. C’est aussi parce que t’es un bon prof et que tu sais te remettre en question. Mais là, tu te remets en question pour des paroles de fous furieux dénués de tout bon sens. Ta modestie te perdra. On fera vingt films sur ta carrière mais pas avant post mortem. Ecoute-les, tes mômes. C’est eux qui ont raison. Dans ce bahut, c’est toi le plus fort. Résiste !
- Tu aurais dû faire psy. J’suis désolé de t’appeler que pour des histoires comme ça.
- Tu te sens rassuré ?
- Oui.
- C’est l’principal. Laisse tomber les désolations.
- Tu aurais dû faire psy.

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