J'l'aime bien Pierre del Tabac
La première fois que je suis entrée dans ce tabac, c'était quelques minutes décisives avant de savoir si j'allais oui ou non décrocher mon appart' au bord de l'eau parmi les canards et les cygnes et les saules qui pleurent pas en fait, c'est une légende, et ce malgré une situation qui ne me le permettait pas dans cette société, à ce moment précis. Je l'ai tout de suite trouvé sympa, le monsieur du tabac. En repartant, il m'a dit "A bientôt !" et sans y trouver le moindre bon sens, j'ai su que c'était bon, in ze pocket, que je l'aurai cet appart'. Quelques minutes plus tard, je l'ai eu.
Et j'ai effectivement revu le monsieur bientôt. Chaque fois, l'échange est sympa, les yeux brillent, avec lui comme avec son fils. J'aime beaucoup ces petits moments de petit rien.
Une fois, il a regardé sur ma carte, et il a dit "A bientôt, Marina." Et moi j'ai dit "A bientôt, qui don' ?" Et il a dit "Pierre." Alors j'ai redit " A bientôt, Pierre."
Les fois d'après, j'avais de la monnaie, et il avait oublié, et pas moi. J'avais la sensation de le taquiner, un jour où il n'avait pas le sourire, pour le lui rendre, parce qu'il est beau, Pierre del Tabac, avec sa tête presque nue, ce qui lui reste de cheveux tout blancs, et ses yeux bleus qui rigolent.
Et puis l'une des dernières fois, il s'est mis à me tutoyer. Alors maintenant on se tutoie. J'adore. J'adore ces moments de petit rien.
Une fois l'article précédant tartiné, bien décidée à partir en repérage dans l'après-midi, j'ai mis ma nouvelle robe violette avec des perles en bordure de décolleté, et la jolie chemise fleurie légère comme des pétales de pavot que soeurette m'a offerte l'autre soir en dessous, pour faire les manches que la robe n'a pas, mais jolies, comme faites avec.
Et je suis sortie deux minutes, passer au tabac. C'est un jour de chance. Le père et le fils étaient là tous les deux. Un moment sympa. Un petit rien. Qui m'a rendu le sourire.